Mardi 23 septembre s'ouvrira la 11ème édition de BIG (Bpifrance Inno Génération) dont Usbek & Rica est partenaire. Rendez-vous incontournable pour les entrepreneurs et curieux des tendances de l'économie française, il rassemblera 1000 intervenants à l'ACCOR ARENA à Paris autour du mot d'ordre « Vérité ». Nicolas Dufourcq, Directeur général de Bpifrance, explique ce choix de thème dans une tribune à Usbek & Rica
Pour ma génération, être contraint de réaffirmer l'existence de la vérité est stupéfiant, et pourtant il faut le faire. Entourés comme nous sommes de gens qui vous disent que ce que vous voyez, vous ne le voyez pas, que vous vous trompez quand vous pensez de bon sens, il faut bien relever l'étendard. Les injonctions américaines récentes sont la nouvelle étape franchie de l'obscurantisme qui tombe sur nous. Venues d'un régime de mensonge, elles nous menacent de rétorsions et de sanctions si nous ne mentons pas. Les interférences russes et chinoises sur nos réseaux quant à elles explosent, et prospèrent les idées les plus farfelues sur des complots inventés. Sur nos plateaux de télévision, paradent les experts de matières qu'ils ne connaissent pas. Le café du commerce emplit le débat public et il ne sait pas qu'il est manipulé.
Vérité paresseuse
Tout a commencé par une paresse, celle de dire que MA vérité, c'est LA vérité. Ceci me permet d'éviter la confrontation au réel. On a vu ensuite que de grandes figures politiques étrangères étaient élues sur ce programme, au point de changer des têtes dans les agences scientifiques ou les instituts statistiques quand ils arrivaient au pouvoir. Beaucoup alors se sont sentis autorisés à persévérer dans la voie consistant à dire aux faits qu'ils se trompent. Le réel ne doit pas me résister, il n'en a pas le droit.
Je préfère penser qu'il y a une autre vérité, un « double » du réel, comme le philosophe Clément Rosset l'a analysé toute sa vie, la fable douce qui me permet de vivre puisque le réel, le vrai, me fait souffrir. Nous sommes dans l'expression paroxystique du mal du siècle : l'effondrement de la capacité à maîtriser sa frustration.
La prise de pouvoir sur le réel se transforme ensuite en plaisir, celui d'imposer ma vision, en réfutant le droit à la réfutation. Avant, le sentiment de puissance pouvait venir de l'établissement de la vérité. Pour beaucoup, aujourd'hui, il vient de la possibilité qui nous est donnée de réfuter la vérité sans argument. Juste de dire non. Non la Terre n'est pas ronde. C'est le stade suprême de l'individualisme des droits. J'ai le droit de vous dire que la Terre est plate. Or cette paresse conduit à la soumission. Au bout de la renonciation à la dispute intellectuelle et scientifique, il y a la génuflexion devant le tyran, celui qui a donné le grand exemple. Car on sous-estime le pouvoir de l'exemplarité. Le chef est vulgaire ? Tout le monde le devient. Le chef abuse du mensonge ? Beaucoup l'accompagnent. Pour eux, souvent lâches, la contestation de la vérité est une revanche délicieuse. On dort dans le lit douillet des contre-vérités, qui forment un système cohérent dont on ne voit plus qu'il nous emmène à la violence.
Bientôt, les institutions elles-mêmes sont contaminées. D'abord épurées, puis réformées. On parle de démocraties illibérales. Euphémisme ! La chape de plomb tombe pour longtemps. Les murs se rapprochent, les droits sont réduits. Le double du réel s'impose, et il réagit avec brutalité quand on lui dit qu'il n'est pas le réel. Voilà pourquoi il faut réaffirmer le statut de vérité d'un certain nombre de savoirs. Pas tous naturellement, mais tous ceux qui sont le produit de la chaîne de la connaissance dans laquelle les scientifiques et les chercheurs se passent le relais depuis Euclide. Les savoirs statistiques également, qui neutralisent la tyrannie des anecdotes. Pour les historiens, les savoirs issus du travail patient sur l'archive.
Lutter contre l'obscurantisme
Les entrepreneurs, dans la société, sont probablement ceux qui sont le plus évidemment confrontés au réel dans sa complexité. Ils vendent des produits réels à des acheteurs réels. Ces produits engagent souvent le pronostic vital de leurs consommateurs quand ils ne respectent pas les canons de la vérité scientifique. Ils sont l'accomplissement de la société scientiste inventée après Auguste Comte. L'entrepreneuriat est un alambic de vérités, il les distille, les assemble, les produit, les vend. Il a donc son rôle à jouer dans la lutte contre l'obscurantisme.
Aujourd'hui, le camp de ceux qui se donnent le droit de dire, faits à l'appui, qu'on ne peut pas impunément laisser dire que, etc.", doit se structurer et se renforcer. Il doit utiliser les codes langagiers du moment, et accepter les canons de la communication virale. Les tribunes dans les journaux ne suffiront pas à battre ceux qui veulent nous faire croire que la vérité est décadente (dirigeant russe), ou attentatoire à la liberté de mentir (dirigeant américain). Ce sera un grand combat.
Retrouvez la Tribune de Nicolas Dufourcq en intégralité à Usbek & Rika : Usbek & Rica - « La vérité est un grand combat »