Le thème de cette année, c'est la métamorphose. Décidé il y a un an sans savoir que nous aurions une guerre à menace nucléaire, déclenchant une crise énergétique potentiellement fatale à l'industrie européenne. Sans savoir que nous aurions la plus grave canicule depuis 1976. Sans savoir que l'inflation, dont on nous disait qu'elle était sous contrôle, n'allait en fait pas retomber. Sans se dire, comme aujourd'hui, que le 1,5 degrés du traité de Paris va être vraiment difficile à atteindre, et que tout va s'emballer pour au moins tenir 2,5. Nous sommes dans des scénarios qu'on aurait dit il y a peu distopiques. Nous sommes dans quelque chose qui ne se raconte pas, ineffable. Ça n'a rien à voir avec la transformation, qui elle se raconte, s'organise. D'ailleurs, le dictionnaire nous dit qu'entre la métamorphose et la transformation, il y a une différence de principe. La métamorphose, seuls les dieux la décident. Elle nous dépasse. Pour les chefs d'entreprises, l'enchaînement des conflits sociaux, du covid, de la rupture des chaînes d'approvisionnement sur les composants, de l'explosion du coût de la mondialisation, l'impossibilité à recruter, puis la stupéfaction de l'inflation, de la guerre, et pour finir le tableau angoissant de l'échéance du renouvellement dans quelques semaines des contrats électriques à des prix délirants, pour eux, c'est un monde nouveau qui fait penser qu'avant c'était nettement plus simple. La métamorphose, pour nous entrepreneurs, c'est bien le passage d'un monde dont on disait qu'il était dérégulé alors qu'en fait il est était très normé, avec de l'énergie bon marché, de l'argent gratuit, le travail délocalisé à des prix dérisoires, le transport mondial à bas coût, la mer d'huile, à un nouveau monde, très différent, où les vrais coûts s'imposent de nouveau, les préférences changent, des évidences tombent, de nouveaux mots apparaissent, c'est la mer des grands creux, le vrai monde dérégulé, celui de la colère des prix, de la colère des mots, de la colère de la nature, celui aussi de la colère des citoyens.
Nous vivons des spasmes. L'histoire se réveille. La technologie accélère. Nos jeunes sont presque en quête de spiritualité dans leur rapport au travail. On se réveille un matin, et on se dit que tout a changé pour toujours. On se regarde et on ne se reconnaît plus. Comme si ma jambe avait grandi, mon bras rétréci, comme ci des feuilles me poussaient au bout des doigts, un tableau de Gérard Garouste, qui parlait sur cette scène l'année passée. Eh quoi ! Je ne sais plus qui je suis, je ne sais pas qui je vais devenir. C'est la métamorphose.
Comment allons-nous faire ? Nous ne le savons qu'à moitié. Le leader de la métamorphose est un navigateur de gros temps. Tripal et technique à la fois. Nous allons naviguer avec de grands creux, des vents tournants. Il faudra avancer en gardant le cap. Et cette traversée nous transformera sans retour. Ce qui est certain, c'est que dans ce moment, quand on n'est plus ce qu'on était et pas encore ce que l'on sera, nous sommes vulnérables, fatigués, intensément. Car la métamorphose est une naissance, et celui qui naît est nu comme un nouveau-né, pendant un temps au moins. Pandémie, inflation, terrorisme, sont les symptômes de cette vulnérabilité. Comme si le monde, au moment de sortir de la matrice, attrapait tout ce qui passe, le virus, la fièvre, les croyances. Même la grande démission est un symptôme. Les pianistes le savent, quand on a le trac sur scène on ralentit le tempo, sans même s'en apercevoir. Le retrait du marché du travail, c'est cela, un moment régressif où l'on se replie sur ses bases avant de s'élancer, le dernier repli de l'adolescent avant de plonger dans l'inconnu de l'âge adulte. Les renoncements aussi sont un symptôme et notamment l'abstention aux élections. Songeons que 65% des jeunes de 18 à 24 ans se sont abstenus au premier tour des législatives. Symptôme aussi, la montée des populismes ! Quand on a l'impression que des forces telluriques nous dominent, on est tenté de faire parler les dieux, et commencent les discours ébouriffants et les boucs émissaires. Nous comprenons l'angoisse des gens devant tant de mouvements !
Tout bouge, donc il faut que le centre tienne. C'est la quille du bateau. Heureusement les États sont là. Les structures intellectuelles, juridiques et financières qui encadrent leurs intervention se sont adaptées aux temps de la métamorphose et leur donnent des leviers inouïs par rapport à ce dont ils disposaient il y a 20 ans. Les États, et l'Etat européen qu'est l'Union. Nous devons le reconnaître : dans la gestion du covid, dans la gestion de l'inflation, dans la gestion en ce moment de l'énergie, ils ont entamé leur mue. De manière plus ou moins ordonnée, car il a fallu décider vite, les États ont montré qu'ils savaient protéger leurs sociétés pendant ces périodes où le nouveau monde est engendré. Ils ont non seulement préservé l'existant, mais tout de suite projeté les sociétés dans la production du monde de demain. C'est bien le sens de France 2030. Poser un point GPS loin, au delà de la traversée métamorphique. Décider par exemple l'arrêt du moteur thermique en 2035, décider le changement complet du système énergétique d'ici 2050, tâche prométhéenne, faire pivoter la totalité du tissu productif pour l'adapter au nouveau monde décarboné et circulaire, investir dans la souveraineté pour les générations futures, créer par le réinvestissement militaire les conditions d'une paix armée durable, etc. Les États, acteurs centraux de la métamorphose !
Mais les acteurs principaux sont vous, les entrepreneurs. C'est vous qui nous surprenez tous les jours. Vous, qui n'avez jamais choisi la voie royale. Vous, qui tirez la société pour l'emmener vers son avenir. Vous, qui inventez, innovez. Vous, qui savez que la métamorphose recèlle des opportunités incroyables pour qui sait les anticiper. Vous, qui prenez à tout instant les décisions de navigation qui vont conduiront, je le souhaite, à bon port dans le nouveau monde, le monde écologique, digital, ré-immunisé contre quantité de maux (la guerre, la cyber, les pandémies), un monde motivant, prometteur. Un monde meilleur ! Vous, qui êtes aujourd'hui invités à vous dépasser. Pourquoi vous ? Car vous êtes l'énergie, et qu'il en faut en quantité pour piloter la métamorphose et engendrer des armées de papillons ! Vous avez au fond du coeur d'immenses réserves de volonté et de désir, qui vont vous permettre d'orienter cette mutation dans une direction qui préservera à la fois le travail infini des années passées, et une vision éthique d'un monde de progrès. Mystères de l'énergie. Vous l'avez ! Vous l'avez car vous pouvez toujours puiser dans une ressource essentielle, votre singularité. Vous écoutez votre intuition, vous vous dites que, quand tout le monde pense la même chose, la vérité est peut-être ailleurs. Vous restez singuliers, vous êtes iconoclastes. Il faut paraître un peu fou dans ces temps de mutation. Cette liberté est votre puissance. Et c'est avec elle que vous aller motiver vos collaborateurs à traverser avec vous l'époque. Il n'y a pas d'entrepreneur mystique et solitaire, il y a des collectifs inspirés, des numéros 2, des numéros 100, qui tiennent le navire. Ils ont moins de folie que vous, mais ils tiennent. La métamorphose réussie sera une victoire d'équipe.
Dans la métamorphose, il faut embarquer aussi les peuples. Nous n'y arriverons pas sans vous, les entrepreneurs. Autant les États ont su, et savent, protéger les gens. Autant ils ont du mal à embarquer. Car tout est construit pour que leur parole soit dévitalisée, malheureusement. Le monde est complexe, leur parole est complexe, ils peinent à faire rêver, leurs mots ne sont pas des mots de fiction, ils suscitent l'incrédulité. Presque par pudeur, ils s'interdisent la parole énergétique, le grand récit, le verbe. Car le risque du ridicule est élevé. Entrepreneurs dans la métamorphose, vous devez prendre la parole. C'est un devoir. Votre parole ne court pas le risque d'être tournée en dérision, car le risque que vous prenez est respecté par la société. Avec vous, la société suspend son incrédulité ! Elle croit à vos histoires de vies ! Profitez de cette liberté, et dites-vous que les français aiment et aimeraient vous entendre beaucoup plus. Vos histoires sont belles, et vous voyez des horizons. Les Français ont besoin d'horizon ! La FrenchFab doit montrer son horizon, la French Touch, la French tech, le Coq vert, la French Care, vous êtes des moteurs d'horizons ! Tout le monde a une besoin psychique de voir la ligne bleue d'un paysage dégagé vers lequel on se dirige, l'être humain ne peut pas vivre dans une forêt bouchée. Montrez l'horizon, faites rêver, aidez les États !
Enfin le monde qu'il faut construire doit être un monde toujours solidaire, dont le contrat social se sera lui-aussi métamorphosé, avec d'un côté des protections inédites, et de l'autre, en contrepartie, un esprit d'entreprise, une culture du risque, capables de financer notre modèle collectif. Il ne peut plus y avoir l'un sans l'autre. Vous faites mentir le théorème qui dit que les protections inhibent le goût du risque. C'est avec vous que les citoyens vont repenser le contrat social des sociétés occidentales, qui ne peut pas être la prolongation, même transformée, de celui des années 70. Repenser le système de solidarité pour le pérenniser est la grande tâche qui est devant nous, et vous en êtes les acteurs puisque c'est vous, entreprises, qui créez la richesse dont tout procède. Il faut plus d'économie en France. C'est pourquoi nous voulons doubler le nombre d'entrepreneurs ! Aujourd'hui, au BIG, les 300 associations de soutien à l'entrepreneuriat s'engagent à tout faire pour atteindre cet objectif. Doubler le nombre d'entrepreneurs, qui peut dire que ça ne change pas la France ?
Enfin, la Bpi vous accompagne dans la métamorphose. En encourageant l'entrepreneur, en déployant France 2030 pour le compte de l'Etat, en réindustrialisant, en décarbonant l'économie. Elle s'est elle-même métamorphosée en banque du climat, de la deeptech et de la réindustrialisation. Mais surtout en vous aidant à lutter contre la peur. Peur des salariés de plonger dans le bain de l'entrepreneuriat, peur des jeunes devant l'immensité des défis écologiques à relever, peur des femmes de devenir entrepreneuses, peur d'écouter son intuition, peur du lendemain, peur de dire les choses, tout simplement. Nous sommes dans une ère de liberté et c'est bien la liberté qui va nous guider dans la période.
Discours d'ouverture de Big 2022 - Nicolas Dufourcq
07 Octobre 2022
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