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Tribune de Nicolas Dufourcq et Denis Valode | Réindustrialisation : construisons un imaginaire positif, publié dans Les Echos du 13 novembre 2023

13 Novembre 2023

Temps de lecture : 3min

Au-delà de la formation, des innovations et des compétences, la réindustrialisation passera aussi par une réflexion sur l'architecture des lieux de production, observent Nicolas Dufourcq et Denis Valode. L'usine sera ainsi une source de fierté pour les territoires.

La réindustrialisation de la France démarre. Elle représente un défi de compétences, de financements, d'aménagement, d'infrastructures, d'innovation. Nous avons un peu de tout cela, mais insuffisamment de tout cela. Il faudra plus de compétences, plus de financements, plus d'innovations. L'objectif de gagner deux points de PIB est ambitieux, nous le savons. S'il fallait hiérarchiser, nous dirions que le noeud du sujet va se trouver du côté des compétences, et donc de la capacité de l'industrie à attirer la jeunesse.

Aujourd'hui, seuls 30 % des élèves des écoles d'ingénieurs vont dans l'industrie. La réforme de l'apprentissage va progressivement redonner des couleurs aux métiers de l'usine, mais ce sera long. Au confluent de tous ces vents contraires, il y a ce qu'il faut bien appeler un problème d'imaginaire. Les humains ont besoin de symboles. Le halo de couleurs, de formes et d'émotions autour de l'industrie, ne brille pas encore de mille feux. Le mouvement du coq bleu de la FrenchFab l'a compris, et déploie une identité de marque, avec ses événements, ses hymnes, et ses couleurs.

Qualité architecturale

Mais il y a un jalon fondamental qui n'a pas encore été reconnu comme essentiel : l'usine elle-même. L'usine est un objet plastique dans l'espace d'une commune, rurale, périurbaine ou urbaine. Elle se construit sous le regard des citoyens, et vit avec eux pendant des décennies. Notre propos aujourd'hui est de dire qu'elle doit être belle.

Nos anciens avaient cette intuition, quand ils construisirent la halle Tony Garnier , la manufacture Mesnier, ou les grands hangars aéronautiques de l'ingénieur Nervi. Une usine est un objet iconique qui joue un rôle fondamental pour ancrer un imaginaire positif autour de l'industrie, et attirer les nouvelles générations.

Mais voilà, une approche courante des décideurs consiste à opposer la qualité architecturale à l'efficacité fonctionnelle et technique et à la maîtrise des coûts. Or, en matière d'architecture des usines, le bâtiment est une petite part du budget et l'enveloppe elle-même une petite part du bâtiment. A l'évidence, l'enjeu économique n'est pas là, alors que l'impact visuel et contextuel dans le territoire est totalement déterminé par la ligne architecturale, la morphologie, l'insertion dans le site et le jeu des matières et des couleurs.

Enracinement local

Par ailleurs, l'usine est un lieu de travail qui concerne une importante population et c'est une composante essentielle de son enracinement local. Pour une gigafactory, cela se compte en centaines de salariés. L'architecture joue un rôle évident pour soutenir la qualité des conditions de vie au travail de ces personnels. Le soin apporté à la lumière naturelle et artificielle, ou encore à l'aménagement des espaces extérieurs, participe au renouvellement de l'image de l'usine moderne. Il y a quelques années, l'Equerre d'argent, sorte de Goncourt des architectes, a été attribuée pour la première fois à une usine.

Cette usine, construite à Aulnay-sous-Bois pour le groupe L'Oréal, se caractérisait par sa ligne esthétique futuriste. Aujourd'hui, elle fait partie du circuit de visite des journées du patrimoine. Dans la réindustrialisation que doit accomplir notre pays, nos industriels doivent reconnaître que leurs constructions, si elles sont belles, seront en elles-mêmes une contribution cruciale à la transformation culturelle du pays.

Nous allons faire monter un blanc-manteau de nouvelles usines dans les communes de France ! Sans faire aucunement déraper les budgets, on peut inscrire dans les territoires un nombre important de gestes architecturaux qui seront source de fierté collective pendant des décennies. Il s'agit en somme de faire passer les usines du statut de bâtiments utilitaires à celui d'icônes de notre époque.

Nicolas Dufourcq et Denis Valode

 

Lien vers la tribune publiée en ligne sur le site des Echos